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Bilan 2023 : voyages, raz-de-marée, noyade et p’tit kit Ikea

Je suis là, un 15 janvier, à quelques jours d’un départ en Inde, encore un peu amochée d’une demi-année spectaculairement éprouvante, résultat d’un raz-de-marée ayant à peu près tout ramassé sur son passage, à me demander s’il est bien sage de me prêter à mon propre jeu d’un bilan annuel futile pour quiconque à part moi, au risque de rouvrir des dossiers que j’imagine fermés ou de laisser encore l’eau s’infiltrer.

L’exercice, quoique futile, est pourtant habituellement libérateur. Porteur d’espoir, souvent révélateur. Mais je dois te le dire, cette année, un drôle de sentiment m’habite.

Les p’tits bouttes rough, c’est tabou, tu sais. On ne les raconte pas ces moments où on a passé proche se noyer, on ne les montre pas ces journées où l’exploit a été de se lever. On ne s’en vante pas de ces fois où on l’a échappé.

D’abord parce que ça ne regarde personne, mais aussi parce qu’il y a la honte, l’illusion d’être au-dessus de la mêlée, l’envie de « bien faire ça », de « réussir son malheur », de surfer le raz-de-marée comme une rockstar, parce qu’on est plus forte que ça, t’sais.

En tout cas, moi, j’allais surfer cet esti de tsunami, me sortir indemne de ce mur de feu. J’y croyais.


Bref retour sur les dernières années…

Je ne sais pas trop pourquoi tu ferais ça, mais d’un coup que t’as envie de lire les anciens bilans :


2023 en voyages

Mais bon, avant tout ça, l’année a bien démarré avec une petite série de voyages.

Dès février, un premier voyage d’amoureux sans enfants depuis la naissance du p’tit troisième dont l’âge s’écrit désormais à deux chiffres. En pleine lancée d’un « 20 ans 20 dates », projet entamé avec un souper dans le noir (date #1) puis une via ferrata dans Charlevoix (date #2), ce voyage à New York regroupait plusieurs dates : courir Central Park (#3), dormir dans un hôtel New Yorkais avec vue sur la ville (#4), assister à un spectacle sur Broadway (#5), participer à une dégustation de whiskey dans une distillerie (#6) et, clou du spectacle, raison ultime du déplacement : assister à Sleep no More (#7).

Je t’épargne les détails, mais ce 20 ans 20 date aurait dû dans un univers parallèle se terminer sur la route des scotchs en Écosse, le jour de nos 20 ans. Je ne suis jamais allée en Écosse. Il ne faut jamais rien tenir pour acquis.

M’enfin.

Mars m’a menée au Guatemala avec les deux plus jeunes héritier·ères, où l’on a passé 2 semaines dans 2 écoles de langue différentes. Pour ma part, ce fut un premier voyage entièrement seule avec les enfants, ma maman nous ayant accompagné·es en Égypte l’année précédente. Est-ce que je le referais? Demain matin!

Fin avril, je m’enfargeais les pieds 24 heures à Casablanca pour atterrir, début mai en Ouzbékistan. Je profitais d’ailleurs du retour pour m’arrêter à nouveau quelques jours à Istanbul, hissée en 15 minutes et quart au rang de nouvelle ville préférée l’année précédente lors de ce voyage inopiné en Turquie.

Je revenais fin mai, rassasiée d’un début d’année dont la suite s’annonçait déjà voyageusement prometteuse.

[Je n’ai pratiquement écrit aucun article sur ces derniers voyages. On verra si, avec le temps, l’envie me prendre, le temps me le permettra…] En attendant, l’amie Vagabondeuse a été plus à ses affaires que moi. Je t’ecourage donc à aller faire un tour sur ses récits de notre voyage en Ouzbékistan.


Raz-de-marée de mi-année

Début juin, un raz-de-marée d’une puissance inouïe me ramasse de plein fouet, me fracasse et me recrache sur un rivage que je ne connais pas.

Je passe les 4 mois qui suivent à faire ce que je sais le mieux faire : vagabonder et user d’intensité.

4 mois à enchainer les homesittings, les divans aux quatre coins de la ville et de la province, les chambres d’amis (dont certaines seront rebaptisées en mon nom  tellement j’en aurai abusé), à dormir dans mon char à des fins pas toujours récréatives, en tente, à gauche, à droite.

J’habite alors partout et nulle part 50 % du temps, en alternance avec ce qu’il reste du foyer, sinistré, englouti.

Me répétant 162 fois par jour « make the most out of it », je me jure alors de dire oui à tout durant toute la saison estivale. Je me le ferai même tatouer. 

J’allais combattre l’intensité imposée par mon intensité internalisée. J’allais réussir mon malheur, rocker mon tumulte, surfer le tsunami. Apaiser la brûlure par des feux d’artifices.

J’ai donc passé un été aussi éclatant que terrifiant, me menant au Kamouraska, dans les Laurentides, à Trois-Rivières, au Lac-Saint-Jean, dans les Cantons-de-l’Est, en Gaspésie, aux quatre coins de l’Abitibi-Témiscamingue, au raz de l’implosion, au bord du burn-out, au bout de mon énergie.

Une amie qui me suit sur les réseaux sociaux m’écrit alors : « Wow, t’as l’air de passer un été de feu, je t’envie un peu. » T’as pas idée, fille, comment le feu est pogné. Ça brûle de partout, c’est hors de contrôle.

Puis, je me suis sentie un peu mal de projeter cette image de fille qui vivait sa best life, parce qu’en réalité, je survivais ma best life. Mais il y a de ces petits drames qu’on ne peut étaler ne serait-ce que pour aider les autres à s’identifier, car ils impliquent d’autres humain·es pour qui on ne peut pas décider qu’ils vivront un deuil partiellement public. Ces petits drames, sans nécessairement être explicités, devraient toutefois être nommés, parce que la vie sort d’Instagram, de ce que l’on veut bien montrer. M’enfin…


Le temps

On dit du temps qu’il fait bien les choses, qu’il guérit, pardonne, oublie même parfois, qu’il va vite, qu’il est précieux, qu’il nous file entre les doigts, qu’il est non renouvelable.

Le temps épuise aussi. L’intensité dans laquelle on se jette pour oublier, pour éviter la noyade, use. L’automne a été rough, toute « tenait avec d’la broche » comme dirait feu l’autre. Le dégât des derniers mois s’était infiltré dans toutes les craques. Je n’y arrivais plus, le cœur s’affolait, la face m’engourdissait. J’allais peut-être plus mourir d’une crise de cœur que d’une noyade après tout. J’ai su nager, mais je ne savais visiblement plus respirer.

Il était temps de reprendre le contrôle sur ma vie, un département à la fois. Les chiffres n’arrivaient plus, la comptable s’affolait, les fins de mois se crissaient de moi. Remaniement complet de ma vie professionnelle, de mon horaire et de mon mode de vie, cette peur de ne plus arriver à faire ce que j’aime le plus au monde, voyager, cette peur de perdre encore plus de liberté. Là où le repos aurait été nécessaire, l’intensité est restée. Elle a juste changé de camp. Le cerveau n’en avait visiblement pas envie. Le corps a riposté. C’était trop.

L’année s’est terminée au bout d’un souffle étiré trop longtemps.

Je vois mal comment j’aurais pu clore un bilan annuel au beau milieu du chaos. La révolution du soleil autour de la terre ne remet que l’année à zéro. Ce qui brûlait brûle encore passé minuit.


Les meubles IKEA

Le temps a continué de s’étirer au son des bombes qui atterrissaient dans mon jardin pendant que j’essayais d’arroser les nouvelles pousses, d’en prendre soin, de les laisser fleurir. Le brouillard était encore épais, mais des p’tites éclaircies permettait au soleil de toucher ma peau de temps en temps.

Puis, la fréquence des impacts a diminué, les dommages se sont montrés de moins en moins visibles. Y’était temps. Mon fort était fragilisé, ça ne prenait plus grand chose pour qu’il s’écroule.

Pis j’ai commencé à prendre chaque petit bout de vie qui avait r’volé dans l’couloir et j’ai entrepris de soigneusement de les recoller. Les craques paraissent encore, mais j’ai quand même fait une belle job, je pense. Ça se tient, la plupart du temps. Comme pour un meuble IKEA, il a fallu que j’y aille étape par étape et bien que ça se tienne debout, faut quand même faire un peu attention, parce que j’ai pas vraiment lu les instructions. 


La stabilité

Je me retrouve donc à la mi-chemin 2024 à terminer ce bilan 2023. Des fois, le calendrier grégorien ne suffit pas à cadrer les vicissitudes de l’existence.

J’ai passé la pire et la meilleure année de ma vie. J’ai détesté profondément et aimé profondément. J’ai pleuré toutes les larmes de l’univers et j’ai ri aux éclats. J’ai eu envie de crisser l’feu, souvent, mais j’ai aussi compris que, profondément, j’étais heureuse. Parce que malgré que ma vie a drastiquement changé, que je me suis fait ramasser par un courant de fond décisionnaire, je me sens heureuse. C’est tu ça, être heureux, dans le fond? Être capable d’aimer sa vie même quand tout crisse le camp?


Les ressacs

J’aurais aimé pouvoir terminer ce récit ainsi. Mais là, tsé. La barque a fendu à quelques endroits; insidieusement, l’eau est rentrée par les craques. Pis j’ai coulé. Un peu. Juste assez pour avoir le temps de sortir ma veste de sauvetage. Même dans les pires tempêtes, vaut mieux avoir un plan de secours.

Faque la vie a continué à brasser. Sur tellement de plans à la fois que j’en ai perdu pied. Et j’ai dû m’amarrer exactement au moment où je croyais avoir repris ma vitesse de croisière.

J’ai bien vu que ma flottabilité avait diminué, ma chambre à air avait dégonflé. Je n’allais pas pouvoir tout rembarquer à bord et il me faudrait aussi jeter 2-3 trucs par dessus bord pour enlever du poid. La Grande Déroute prend l’eau depuis ce temps pour cette raison.


Tu comprendras qu’on va laisser tomber la partie « stats du blogue », « réalisations professionnelles », « lectures de l’année », etc. Ça m’aura pris 8 mois écrire ce bilan. Ce sera suffisant.


[NDLR : Inquiète-toi pas, l’ami·e, depuis les choses se sont adoucies, beaucoup. Ça m’aura quand même pris plus de 18 mois avant de revenir par ici. Le temps, le temps…]

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Éparpillée professionnelle, langagière de métier, étudiante à perpète, géographiquement indépendante, voyageuse et mère X3. Voyages, linguistique, tourisme brassicole et musique teintent mon quotidien.

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