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Voyager loin durant l’enfance peut-il rendre le futur voyageur blasé?

Dernièrement, je suis tombée sur un article du (défunt?) blogue Autour des voyages, sur lequel Audrey, son autrice, se questionne : « Faut-il voyager loin avec ses enfants? ». Le sujet m’a évidemment interpellée de par sa référence aux voyages durant l’enfance, mais encore plus de par son angle qui aborde ce qu’elle appelle le capital émerveillement.

Essentiellement, elle se questionne à savoir si voyager loin (elle parle de voyages à l’étranger, dans des endroits lointains, différents, et non d’escapades weekends en région, et à un âge où l’enfant en conservera des souvenirs clairs) ne pourrait-il pas consommer le capital émerveillement de l’enfant, du futur voyageur. Elle prend pour exemple ces voyageurs qui semblent avoir tout vu, tout fait, limite blasés par la nouveauté qui n’en n’est plus vraiment une…

Faut-il voyager loin avec ses enfants?

J’ai aimé la réflexion honnête et logique du parent voyageur qui se questionne sur sa façon de faire découvrir le monde à son enfant encore jeune. Et bien qu’il n’y ait pas une façon idéale et parfaite de le faire et qu’il y a en fait, autant de façons de le faire que de parents sur terre (je dirais même que d’enfants…), le questionnement est légitime et intéressant à mes yeux.

J’ai donc eu envie de signifier mon accueil positif à cet article en lui laissant un joli petit commentaire. Or, le dit commentaire m’a menée à une réflexion plus intime, plus introspective. À un point où j’ai préféré en faire un article-réponse (pour lequel elle m’a donné son accord). Remarquez, j’ai peut-être tout compris de travers ce qu’elle désirait exprimer. Si c’était le cas, n’en reste pas moins qu’une réflexion intéressante s’en détache.

Je saute par-dessus la liste des « pour » voyager loin avec ses enfants. Pourquoi? Parce que tout ce qui y est dit me semble d’une évidence implacable.

Voyage au Sénégal avec enfants / Caroline Jacques

Photo gracieuseté de Caroline Jacques, alias MamanGlobetrotteuse (www.mamanglobetrotteuse.com)

L’idée du capital émerveillement

C’est là où le hamster s’est mis au pas de course.

« Je ne peux m’empêcher de penser qu’on a tous un capital émerveillement qu’il faut soigner, entretenir, chouchouter pour ne pas trop l’entamer et finir blasé. » (Audrey, Autour des voyages)

C’est dans l’idée même du capital émerveillement que je m’enfarge. Par sa définition, j’entrevois un vase rempli d’émerveillement qui, éventuellement, s’épuisera. Comme si le fait de voyager beaucoup et loin durant l’enfance rendrait plus difficile l’émerveillement dans ces mêmes conditions une fois adulte.

« Si à 17 ans tu as vu les continents, vas-tu chercher encore ailleurs ou regarderas-tu le globe d’un air las ? » (Audrey)

Une compétence émerveillement plutôt qu’un capital, peut-être?

Je ne crois pas à ce « on a tout vu, on se lasse de la nouveauté ». Pour moi, l’émerveillement, c’est quelque chose qui se cultive, se renouvelle, se développe, progresse. Chez nous, ça fait partie des bases de nos valeurs familiales : on tente de cultiver l’émerveillement. De savoir s’émerveiller dans les petites et grandes choses, à la maison, en voyage, dans la cour arrière. Dans la répétition autant que dans la nouveauté. Dans le WOW comme dans l’ordinaire. Dans le chez soi comme dans le ailleurs.

« Cette idée peut-être reformulée sous la forme d’une question : s’habitue-t-on au dépaysement? »  (Audrey, Autour des voyages)

S’habitue-t-on au dépaysement?

Eh bien, peut-être! Peut-être qu’on s’habitue au dépaysement. À bien y penser, il n’a certes pas le même effet sur nous lors du premier voyage loin de chez soi qu’aux suivants. Mais j’ajouterais ces questions aux siennes :

  • Peut-on être émerveillé sans être dépaysé?
  • Peut-on vivre l’émerveillement de l’ailleurs sans être nécessairement déstabilisé?
  • Est-ce que l’émerveillement est tributaire du dépaysement?

À mes yeux, peu importe l’âge, que l’on soit passé sur tous les continents ou non, qu’on ait voyagé beaucoup ou non, loin ou non, il y a toujours plus à voir. On aura beau avoir baroudé avec les petits toute leur enfance, il restera encore suffisamment d’expériences différentes, de paysages différents, de choses à voir, de façons de faire, de choses à goûter, faire, regarder, comprendre, essayer pour encore 15 vies entières.

Est-ce qu’on peut se lasser du WOW?

Peut-être à court terme. Mais il y a tant de façons de faire, de voir et de vivre le voyage! De plus, les enfants ont cette capacité à voir la vie sans cesse avec de nouveaux yeux, sans filtre. Une vision qui progresse, se renouvelle, change avec le temps. Une perception qui s’affute, qui s’aguise, évolue. Des expériences qui se vivent différemment à chaque âge, à chaque saison.

Voyager en Papouasie

Phoro gracieusté de Jenny Wong, Les Aventures de JFSAL

Peut-on « trop » voyager loin avec ses enfants?

Est-ce qu’on peut « trop en faire » côté voyage durant l’enfance? Je ne crois pas. Et au pire, si ce n’est pas l’envie de voyager encore plus qu’on leur donne (admettons qu’ils aient tellement voyagé qu’ils n’en n’ont plus tellement envie rendus adultes), ce serait l’ouverture d’esprit, la confiance en soi, la capacité d’adaptation, l’envie de foncer, l’oreille pour les langues, la curiosité, la vision d’un monde en perpétuel changement, un autre regard sur les inégalités, sur les manières de vivre, de dormir, de partager l’espace, etc.

Toutes des choses qui continueront à leur être utiles dans leurs projets, que ce soit des projets de voyage, professionnels ou personnels. Toutes des choses qui contribueront au développement de leur personnalité. Peut-on trop offrir de tout ça?

Reste que je ne crois pas qu’il faille à tout prix voyager loin avec ses enfants. Reste que je suis persuadée qu’il y a énormément à faire autour de chez soi, dans son propre coin de pays. Mais est-ce que de voyager loin avec ses enfants peut en quelque chose « tuer » leur envie de découverte plus tard? Je ne crois pas.

Voyage en Papouasie

Photo gracieuseté de Jenny Wong, Les Aventures de JFSAL

Le voyageur blasé existe-t-il?

Audrey fait un lien avec ces voyageurs qui semblent avoir tout vu, presque blasés de la nouveauté, qui ont de la difficulté à trouver le WOW dans l’ailleurs (et j’ose dire, probablement dans le quotidien aussi).

« On a tous rencontré au cours de notre vie quotidienne ou lors [de nos]voyages, des nomades qui ont tout vu, tout fait, pour qui [c’était] mieux avant ou ailleurs. Ceux qui collectionnent les pays comme autant de trophées, mais qui ne ressentent plus d’émotions. » (Audrey)

Ne seraient-ils pas des adultes qui n’ont justement pas su cultiver cet émerveillement face à la vie? Ou seraient-ils tout simplement un peu imbus d’eux-mêmes? Peut-être devraient-ils changer de lunettes? Enlever les filtres? Ou peut-être devraient-ils voir à combler leur besoin de complétude par d’autres projets? Peut-être que ces voyageurs blasés n’ont pas su renouveler leur façon de voyager, d’aborder l’expérience à l’étranger.

Peut-être se bornent-ils à toujours rechercher le premier frisson comme certains le font dans leurs relations amoureuses? Ont-ils de la difficulté à s’émerveiller autrement que par le WOW? Ou est-ce seulement une façade, une allure, un genre de « m’as-tu-vu? ». Existent-ils vraiment?

Vous l’aurez compris, cet article-réponse n’en est pas vraiment un. Ce n’est ni une réelle réponse, ni une riposte. C’est simplement l’expression de quelques réflexions qui me titillaient déjà, que les écrits d’Audrey ont réveillées. Je pourrais continuer encore longtemps, car ça touche en partie à la façon de voir la vie en général, les valeurs, les expériences, l’éducation, les enfants. Un sujet bien riche, toujours en développement, que je suis heureuse de voir se déployer sur la blogosphère.

*Je vous invite à aller visiter son blogue, tout frais tout nouveau, mais prometteur: Autour des voyages, à la suivre sur Facebook, ou sur Twitter, pourquoi pas?

**Un merci tout spécial à Caroline (MamanGlobetrotteuse) et Jenny (les voyages de JFSAL) pour les photos, ainsi qu’à Isabelle (qui a généreusement fourni la photo d’entête mettant en vedette la belle Juliette).

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Et vous, vous en pensez quoi de tout ça?

About Author

Éparpillée professionnelle, langagière de métier, étudiante à perpète, géographiquement indépendante, voyageuse et mère X3. Voyages, linguistique, tourisme brassicole et musique teintent mon quotidien.

18 commentaires

  1. Intéressant. Personnellement je pense que le « capital émerveillement » est inépuisable. Sinon, j’aurais été blasée depuis longtemps :-) Je crois qu’aimer voyager est plus une question de personnalité. Je connais des enfants qui ont peu voyager enfants (moi) et qui adorent ça aujourd’hui (à l’excès !). Je connais des enfants qui ont beaucoup voyagé avec leurs parents et qui n’aiment pas voyager. D’autres dans le même cas adorent toujours. Bref, de mes observation je ne vois pas de règles. Par contre ce qui est vrai c’est que la personne qui a beaucoup voyagé n’a pas forcément les mêmes attentes ni les mêmes émerveillements qu’une personne qui voyage peu. Et comme un voyage rime avec expériences personnelles et rencontres alors forcément c’est jamais pareil et je vois pas comment s’en lasser quand on a ça dans la peau. Bises !

    • Merci pour ton commentaire Christine!

      Je trouvais la réflexion intéressante et je trouve fantastique de la voir partagée par d’autres. Il y a plusieurs approches à prendre et comme le questionnement est légitime, il est pertinent de pouvoir lire l’expression des pensées d’autres voyageurs sur la question :)

      Le capital émerveillement inépuisable = c’est pour ça que je parle de compétence émerveillement, qui se travaille, évolue, change avec les âges, les saisons, les expériences. Tu l’as bien exprimé.

      A + ;)

  2. J’ai lu l’article dont tu parles il y a quelques jours. Et je m’étais fait la même remarque. Nous ne naissons pas avec un nombre précis de moment d’émerveillement possible.
    Du coup je me retrouve totalement dans ta réponse.

  3. Très belle réflexion. Je peux donner mon point de vue en tant qu’enfant (grande maintenant), car je n’ai pas encore le point de vue en tant que parent.
    Depuis mon plus jeune âge, j’ai beaucoup voyagé grâce à mes parents, je ne pense pas avoir été blasé. Au contraire je pense que mon caractère et mon ouverture d’esprit viennent essentiellement des voyages. Par contre je pense qu’une fois qu’on goûte à la passion des voyages il est difficile de s’en défaire et notre soif de tout découvrir est de plus en plus grande.
    Une fois je me suis surprise à être blasée (ou pas si émerveillée que ça). C’était lorsque nous sommes arrivées au Grand Canyon. Je me suis dit, oh c’est beau, mais ce n’est pas aussi fou que je pensais ». Mais une fois rentrée, lorsque j’ai regardé mes photos j’ai trouvé le Grand Canyon vraiment splendide. C’est peut-être parce que les semaines avant nous avions vu des paysages tous plus beaux les uns que les autres.
    Je pense qu’il faut savoir faire des pauses voyage pour apprécier encore plus le prochain voyage, mais l’émerveillement, l’envie de découvrir l’inconnu est toujours le même à chaque voyage.
    Très bel article qui fait beaucoup réfléchir ;-)

    • Bonjour Ameloche et merci pour ton commentaire!

      En fait, je crois qu’on a le droit de ne pas être émerveillé par moments. Cela m’est arrivé aussi : être devant quelque chose qui rend quasi tout le monde fou dingue et trouver ça « ordinaire ». On peut ne pas s’extasier devant tout ce qui existe, tout ce qu’on croise sans être blasé pour autant. Il s’agit, à mon avis, plus d’un portrait global de l’émerveillement : en général, devant les petites choses de la vie comme devant les grandes choses… mais être en état d’émerveillement 100 % en tout temps, je ne crois pas que ce soit possible. On peut aimer, sans plus, neutre, et passer au suivant. Mais ça, grande expérience de voyage ou pas, ça arrive. C’est qu’on ne va pas tous chercher les mêmes choses aux même endroits, et qu’on ne voit pas les choses de la même façon, et c’est tant mieux. C’est le sentiment général qu’il me semble être nécessaire d’entretenir. L’ouverture.

      M’enfin, merci encore pour ton commentaire très pertinent et intéressant :)

  4. Bianca,

    Je partage ta réflexion et comprend bien les questionnements de Audrey.
    En ce qui nous concerne (je voyage avec mon mari et mes 3 filles) il s’agit d’un mode de vie choisi délibérément (mettre les voyages au centre de notre vie). Toutefois (et c’est important de nuancer) nous abordons le voyage sous l’angle du slow travel (tiens, je vous promets un billet là-dessus dac?). Ce qui veut dire que nous savourons la découverte. Nous ne la consommons pas pour passer au suivant et merci bonsoir, nous l’étirons le plus possible. J’ose espérer que ceci fera en sorte que mes enfants en garderont une empreinte positive et bénéfique.
    Trop hâte de lire la suite de votre prochaine escapade familiale. Bises, Maman Globe-trotteuse

    • Ici aussi, de plus en plus, on « slow travel » (quoique pour certains, c’est presque du speed… mais pour nous, on se trouve bien slow ;) ).

      Mais je crois que slow ou pas, l’émerveillement est intarissable du moment qu’on travaille à le développer. Comme je le dis : à l’autre bout du monde ou dans la cour arrière. En slow ou en speed.

      Merci pour ton commentaire Caroline (et pour la photo de tes magnifiques filles!)

  5. Je pense que les voyages ouvrent les enfants sur le monde, mais ne les empêchent absolument pas de continuer de s’émerveiller. Toutefois, je me suis rendue compte qu’ils pensaient que tout le monde voyageait, et ils avaient une notion des distances et des coûts des voyages un peu erronés.
    Si tu veux un témoignage d’une enfant voyageuse devenue adolescente : j ‘ai interviewé ma fille (17 ans à l’époque de l’itw) après un tour du monde en famille : http://www.lecoindesvoyageurs.fr/agathe-premier-tour-du-monde-a-16-ans

  6. Cet article m’avait aussi interpellé et comme beaucoup je pense qu’il n’y a aucune crainte à avoir côté émerveillement. C’est un petit jardin à cultiver tous les jours dans son quotidien à 2 pas de chez soi ou tès loin. Après effectivement on peut s’habituer un peu à une nouvelle culture et être un peu moins surpris mais il suffit de chercher à en découvrir plus et plus profondement pour en retirer de nouvelles sensations, de nouvelles rencontres et de nouveaux émerveillements bien plus intimes que les 1eres imzges que t’auront laissé les 1eres impressions du pays.

    • Très joli commentaire Sandrine!

      L’idée qui m’est chère revient : l’émerveillement, ce n’est pas nécessairement le WOW des premiers frissons, c’est aussi dans la Vie, en général, « dans son quotidien à 2 pas de chez soi ou très loin » ;)

      Très juste et ça concorde bien avec ma vision de la vie.

      Merci!

  7. Pingback: Le refus de choisir d’une maman voyageuse |

  8. Bonjour Bianca
    Merci d’aborder ce sujet car même si j’ai au fond de moi la certitude que ce capital est intarissable, je me pose quand même un peu la question… comme un petit doute. Est ce que mes enfants peuvent être blasés car ils auraient tout vu dans leur jeune âge?
    Aussi, je rejoins beaucoup le commentaire d’Ameloche: je trouve que – perso- dans un voyage au long cours, tu peux parfois te sentir blasée. Comme si ton capital émerveillement était justement épuisé. ça m’est arrivé et ça m’a fait vraiment tout drôle: je suis à l’autre bout du monde, je suis heureuse car tout ça c’est un choix et qu’on profite à fond et pourtant, je suis blasée… un autre monument à voir dans le coin? Combien d’heure de bus? est ce vraiment beau? mieux que tel autre?
    pfff j’hésite!!
    J’ai détesté cette période du voyage et j’ai culpabilisé de ressentir ça mais je crois que c’était le signe qu’on devait voyager plus lentement dans le cadre de ce long voyage. Et aussi accepter que parfois, même en voyage tout n’est pas magnifique tout le temps, ta famille te manque, la nourriture de chez toi te manque, tes amis te manquent et même la routine que tu croyais détester te manque!!!
    Et j’ai beau être de l’autre côté du globe, je rejoins complètement Sandrine; il y’a beaucoup de raisons de s’émerveiller près de chez soit!!! J’ai très hâte de redécouvrir mon pays… depuis que je l’ai quitté! (je suis paradoxale, et j’assume!)

    • Bonjour Alice!

      J’avais envie d’écrire une article sur le fait que parfois, on peut être aussi blasé en voyage. Je le suis à tous les coups. Chaque voyage, il y a un moment où j’en ai marre, généralement au 2/3. C’est la même chose dans mes études : quand arrive le 2/3, j’en ai marre. Dans mon travail, quand je manque de nouveauté, j’en ai marre. Mais ça, je crois que c’est une chose distincte de l’émerveillement. Car même quand on est un peu blasé de quelque chose, l’émerveillement « général » devrait pouvoir rester et c’est exactement pour cette raison que je crois dur comme fer qu’il faut savoir cultiver cette compétence émerveillement pour que les « petits riens » de la vie nous émerveillent autant que les « grands wow ». Et ça, c’est autant à la maison, qu’à l’autre bout du monde. En voyage, comme dans la vie, tout n’est pas magnifique tout le temps. C’est ce que l’on fait et comment on interprète ces petits bouts plus ternes qui changent la donne ;)

      Et je persiste à dire qu’on ne peut jamais avoir tout vu. Et quand même ils auraient tout vu, il n’y a pas que le voyage dans la vie pour s’épanouir. Il n’auront certainement pas tout fait.

      Merci d’avoir partagé ta réflexion fort intéressante!

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