La Bolivie m’a marquée. J’y serais restée des années tout en la fuyant. Mes yeux, mes sens, y ont été choqués, charmés, lessivés, désarçonnés. J’y ai été amoureuse, j’y ai eu peur, j’y ai ris. Et de ce passage, presque 10 ans plus tard, ne reste que des bribes éparses, comme un film qui saute, jouant en boucle sur une trame sonore des Kjarkas.
Chroniques boliviennes
Cet autobus. Entre Villazon et Tupiza, il me semble. Cette impression de faire du surplace en plein désert. Puanteur insoutenable. Grincements peu rassurants. Le temps qui ne passe pas, mais dont j’apprécie l’immuabilité.
Ces marchés couverts… ces marchés aux odeurs contrastantes, invitantes et repoussantes, c’est selon…
Ces domas autochtones. Mendiantes. Assises au sol. Qui s’accrochent à tes jambes quand tu passes tout près. Qui insistent. Qui éveillent d’abord ta curiosité, puis ton impatience, puis ton empathie, puis un certain désintérêt. Tu passes à autre chose, tu évites, jamais sans froideur, toujours avec cette impression de ne pas faire ce qu’il faut, peu importe l’approche choisie.
Tous ces enfants qui quémandent… Et ce petit garçon qui chante à gorge déployée dans l’autobus entre Sucre et La Paz. Et tous ces petits cireurs de chaussures au discours convaincant.
L’électricité intermittente à Tupiza.
Cet homme qui attend, à la porte du restaurant de la gare de Sucre, que les gens sortent, pour s’emparer des restes.
Cet étalage de boucherie dont je me méfie. À tord ou à raison.
Cette meute de chiens errants. Enragés. Féroces. Qui nous pourchassent dans le quartier Canada à Sucre.
« Traînez toujours des roches » qu’on nous a dit.
Ces femmes qui transportent le monde sur leur dos.
Ce cheval qui prend la poudre d’escampette, me laissant bredouille devant la Puerta del Diablo.
Cette frontière traversée à la marche, ces visas donnés arbitrairement.
Ce silence glacial et ces regards insistants à notre arrivée dans un restaurant local. C’est soir de futbol, les touristes n’ont qu’à bien se tenir. Manger en silence. Foutre le camp.
Ces prix qui rebondissent comme des balles selon ta couleur de peau, ton allure, ton statut…
Ces lamas qui nous bloquent la route. Trafic jam version Bolivie.
Les bloqueos. Et les grèves.
Cette jeep dans le ravin, sur le chemin, passé Coroico. Route étroite qui n’accepte ni la rencontre ni l’erreur. Ce bus qui recule côté précipice. Cette route que je perds de vue en sortant ma tête par la fenêtre.
L’humidité de la pampa, cette jeep qui étire les années.
Ce sanglier qui cherche à partager mon repas. Les aligators, caïmans, capybaras, les singes et les pyranhas. Les anacondas!
Ce jam improvisé en pleine Amazonie.
L’Illimani, au loin.
Les foetus de lama vendus dans les rues de La Paz et les paysages lunaires du Sur Lipez.
Cette fois où j’en ai eu marre. Où le confort m’a manqué. Que la tête me tournait et que mes idées virevoletaient. Où c’était trop et pas assez. Facile mais invivable. Où la fatigue, après plusieurs semaines de vadrouille, m’a gobée, effeuillée.
Cet emplacement funéraire dont on t’évincera à défaut de paiement. Et ce container derrière où la crémation aura lieu, sans tambours ni trompettes.
5 200 mètres. L’altitude qui me fait doucement délirer et la coca pour gégler tous les maux de l’univers.
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3 commentaires
Oh mais c’est intriguant… A la lecture de ce post, on a envie d’en savoir plus mais on ressent également un malaise… Il en ressort un certain attachement mais aussi un rejet de ce pays, non ?
Karine
Allo Karine,
Bizarrement, la Bolivie est un des pays qui m’a le plus marquée, dans ce qu’il a de beau et de moins beau, de doux et de brut. Je ne verrais pas ça comme un certain rejet (mais je peux comprendre que ce billet puisse sembler aller dans cette direction, je ne l’ai pas beaucoup contextualisé, c’est bien vrai), mais je me refuse à ne voir que le beau tout en me permettant de chérir ce qu’il y a de plus doux et de plus brut de ce pays : c’est ce qui en fait ce qu’il est, avec ses qualités et ses défauts.
C’est une émotion complexe que j’ai envers le pays, mais elle est à base d’amour et d’attachement beaucoup plus que de sentiments négatifs. Entre ce que j’observe et ce que je ressens, il y a une marge. Ainsi, des aspects moins idéalisés peuvent m’apparaître difficiles sans pour autant diminuer l’affection que je porte pour l’endroit.
Hey la la, je ne suis pas plus claire!
Merci pour ton commentaire!
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